Medhy Danet, Alessandra Caillaud, Juliette Régis, Caroline Hue, Adasu Mireli

Dans un monde professionnel de plus en plus marqué par la rapidité des évolutions technologiques, les technologies mobiles se sont imposées comme des vecteurs clés de transformation du travail. Smartphones, tablettes, et ordinateurs portables ont redéfini les paradigmes traditionnels de l’espace de travail, en offrant aux employés et aux entreprises des possibilités de flexibilité, d’efficacité et de connectivité. Cette révolution à favorisé une plus grande autonomie des professionnels et une meilleure adaptabilité des organisations face aux exigences changeantes du marché. Mais elle soulève également des questions autour de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, de la sécurité des données, de l’égalité d’accès aux ressources technologiques et de l’émergence de nouveaux acteurs utilisant ces nouvelles technologies pour supplanter les acteurs traditionnels et imposer leur volonté au secteur et aux États.

I) La gig economy

Cet essor des nouvelles technologies dans le monde du travail a donc provoqué de nombreuses mutations, permettant le développement de certains environnements de travail soutenus par ces changements. La gig economy, ou “économie des petits boulots”, a notamment connu une forte croissance ces dernières années. Cette économie numérique concerne ⅓ des travailleurs aux USA, et presque 30 millions de personnes en UE. Cette croissance principalement due à plusieurs facteurs : 

  • Facilitation de la mise en relation entre les travailleurs indépendants et les employeurs :  Les plateformes telles qu’Uber, Lyft, Deliveroo et Upwork ont radicalement transformé la manière dont les travailleurs indépendants entrent en contact avec les employeurs et trouvent des missions. En effet, ces plateformes numériques facilitent la mise en relation entre l’offre et la demande de services, permettant aux travailleurs de répondre à des missions en quelques clics.  
  • Suivi et gestion améliorés : Les technologies mobiles fournissent des outils pour le suivi du temps, la facturation, et la gestion des projets, ce qui simplifie la gestion des tâches et des finances pour les travailleurs indépendants. De plus, elles offrent aux entreprises des moyens efficaces pour suivre la progression des projets, la qualité du travail effectué et effectuer des paiements de manière sécurisée.
  • Nouvelles opportunités de travail notamment pour les personnes qui étaient dans des zones reclues, exclues du marché du travail, et qui peuvent accepter des missions à distance. 
  • Création de nouveaux modèles économiques : livraison instantanée de nourriture ou covoiturage à la demande. 

II) Ubérisation

Ubérisation de l’économie, des transports et même de la santé… Employé pour la première fois par le PDG de Publicis, Maurice Lévy, en décembre 2014, le terme “ubérisation” n’a cessé d’alimenter les débats et les conversations depuis 2015. En effet, le numérique a fortement modifié le monde du travail via ce mouvement, symbolisant l’arrivée d’acteurs issus du numérique et de l’économie collaborative dans différents secteurs d’activité.

L’ubérisation renvoie à “la transformation de l’activité économique traditionnelle », comme l’expose Boris Descarrega, responsable d’études socio-économiques à l’Observatoire Société et Consommation. Elle se produit sous l’impulsion de l’innovation numérique et de la mise en réseau des consommateurs. L’activité qu’elle suppose peut souvent être associée à un travail informel effectué par les consommateurs eux-mêmes. 

Un nouveau type d’acteur est donc apparu dans des secteurs économiques qui avaient des règles économiques spécifiques qui ont naturellement été bouleversées. C’est notamment le cas d’Uber par rapport aux taxis. On parle désormais d’économie collaborative.

En cause : le “tsunami numérique” qui bouleverse donc les chauffeurs de taxi, mais également les hôteliers, concurrencés par la plateforme Airbnb, ou les libraires, éclipsés par le géant Amazon. Un “tsunami” qui, selon Maurice Lévy, concerne aussi son secteur, chamboulé par l’émergence ultrarapide de nouveaux acteurs comme Google et Facebook, devenus en quelques années des mastodontes.

Toute une forme d’économie a émergé. Nous sommes rentrés dans l’ère de la flexibilité, de la simplification des choses, dans l’ère de la désintermédiation.

Antonio Casilli, sociologue italien, a dressé la typologie de ces nouveaux travailleurs : 

  • les acteurs des plateformes de livraisons qui ont le statut d’auto-entrepreneur : l’individu est entièrement responsable de sa situation et de son devenir économique ; 
  • les travailleurs “du clic” pouvant travailler dans des fermes à clic : qui modérent certains sites  ou qui nourrissent le marketing de recommandation ;
  • l’internaute lambda qui, gratuitement, va travailler pour ces GAFA en fournissant des traces, des empreintes permettant à ces géants du numérique de générer du profit car nos traces vont être moulinées par des algorithmes et revendues à d’autres acteurs du numérique.

Notre ère est celle de la flexibilité et de la précarisation, modifiant quelque peu notre relation au travail. Le contrat à durée déterminée est arrivé dans les années 80. À partir de ce moment-là est né ce mouvement de flexibilité que le numérique cristallise aujourd’hui. Il faut être toujours plus adaptable, toujours plus souple, pour se maintenir dans un monde accéléré.

III) Précarisation

Mais cette croissance de la gig economy entraîne plusieurs problématiques, notamment celle de la précarisation des conditions des travailleurs. Si les technologies mobiles donnent accès à des conditions de travail flexibles, il n’en demeure pas moins que leurs conditions sont souvent précaires. Par exemple, une enquête nationale menée par l’Economic Policy Institute aux USA met en lumière les conditions de travail précaires et la faible rémunération des travailleurs de la gig economy aux États-Unis. L’étude a révélé que 14 % des travailleurs de la gig economy sondés gagnaient moins que le salaire minimum fédéral de 7,25 $ de l’heure, et plus d’un quart (29 %) gagnaient moins que le salaire minimum de leur État, ce qui souligne la prévalence des bas salaires dans ce secteur. En outre, plus de 60 % des travailleurs de la gig economy ont signalé ne pas avoir été payés pour leur travail au moins une fois en raison de difficultés techniques

Il existe donc des enjeux de réglementation inhérents à la gig economy : 

  • Classification des travailleurs : traditionnellement, on distingue les travailleurs salariés et les travailleurs indépendants. Leur statut est à la croisée entre ces deux classifications. Les travailleurs de la gig economy peuvent bénéficier des conditions flexibles des travailleurs indépendants tout en travaillant exclusivement pour une seule et même plateforme. La question se pose : peuvent-ils bénéficier des droits et des avantages sociaux réservés aux salariés ? 
  • Droits sociaux et protection : Ces travailleurs ne bénéficient pas des congés payés, de la mutuelle d’entreprise ou encore de la sécurité de l’emploi. Certains pays ont commencé à légiférer en faveur de la protection des travailleurs de la gig economy (Salaire minimum en France depuis janvier 2023). En juin 2023, le Conseil de l’Europe s’est déclaré prêt à commencer des négociations avec le Parlement européen sur une nouvelle loi, qui devrait offrir plus de droits à celles et ceux qui vivent de cette économie numérique (établir un statut, amélioration des conditions de travail). Aux USA, la réglementation concernant les travailleurs de la gig economy a oscillé en fonction des gouvernements en place. Sous Trump, ils ont été reclassés en indépendants contractuels, leur conférant peu de droits. Cette décision a été bloquée en 2021 par l’administration Biden, et plus récemment, le Département du Travail des États-Unis a proposé une réglementation rendant plus difficile pour les entreprises de classer les travailleurs comme contractuels indépendants, ce qui pourrait avoir un impact significatif sur l’économie gig et d’autres industries dépendantes du travail contractuel.
  • Application des réglementations : Bien que la réglementation soit encore assez floue, l’application des quelques lois existantes reste un défi majeur tant les employeurs tendent à contourner les réglementations en adaptant leur business model. 

Par conséquent, les régulateurs commencent à prendre conscience qu’il est nécessaire de réglementer la gig economy. Bien que des initiatives émergent dans certaines parties du monde, elles sont encore peu nombreuses et leur application demeure pour l’instant limitée en raison d’une économie numérique volatile et changeante. Les enjeux sont donc multiples, et les problématiques inhérentes à la gig economy sont loin d’être solutionnées pour l’instant.